Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/153

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de peur, ils se jetèrent sur l’ennemi, sur celui du moins qui se trouvait à leur portée, désarmé, peu difficile à vaincre, et qu’ils pouvaient tuer à leur aise, presque sans sortir de chez eux.

Les vingt-quatre prisonniers ne furent pas longs à tuer ; ils ne firent que mettre en goût. Il y avait parmi eux des prêtres. Le massacre commença sur les autres prêtres qui se trouvaient à l’Abbaye, dont ils occupaient le cloître. Mais on se souvint que le plus grand nombre était aux Carmes, rue de Vaugirard ; plusieurs y coururent, laissèrent l’Abbaye.

Il y avait aux Carmes un poste de seize gardes nationaux : huit étaient absents ; mais des huit présents, le sergent était un homme d’une résolution peu commune[1], petit, carré de taille, roux, extrêmement fort et sanguin. La grande porte était fermée, il se mit sur la petite, la remplit pour ainsi dire de ses larges épaules et les arrêta tout court.

Cette foule n’était pas imposante ; il y avait beaucoup d’aboyeurs, de gamins et de femmes, mais seulement vingt hommes armés ; et encore leur chef, un savetier, borgne et boiteux, portant son tablier de cuir sur un méchant pantalon rayé de siamoise, n’avait pour arme qu’une lame liée au bout d’un bâton. Les autres, au premier coup d’œil[2], semblaient être des porteurs d’eau ivres. Derrière

  1. Cet homme intrépide vit encore (1847). C’est le père de M. Poret, professeur de philosophie, l’un de nos amis les plus chers.

    Nous sommes heureux de rendre ici ce témoignage au vénérable vieillard.

  2. Je dois plusieurs détails qui suivent à un autre témoin oculaire,