Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/505

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Il fallait beaucoup de courage, dès la fin de 1792, pour risquer un mot de pitié. Danton, au commencement du procès du roi, se hasarda à tâter si l’on pouvait éveiller, non pas la miséricorde, mais la générosité du vainqueur, l’instinct magnanime qui répugne à achever un ennemi par terre. J’emprunte ceci à un historien très croyable sur un fait qui honore Danton, car, partout ailleurs, il lui est hostile.

La chose n’était pas difficile, si l’on eût parlé à la France. Mais comment ? Par les journaux ? Danton s’en abstint toujours ; rien n’eût été moins sûr. Il s’adressa plutôt aux clubs, sûr que si un mot juste et fort prenait une fois dans la foule, l’effet irait s’étendant, rapidement, à l’infini, comme font les vibrations du jour et de la lumière, qui rayonnent en un moment jusqu’à des millions de lieues. Il crut que, chez ce peuple éminemment électrique, l’étincelle magnanime, si elle frappait une fois, frapperait à la fois partout, transformerait tout. Il se garda bien de faire un tel essai aux Jacobins, au centre de la politique révolutionnaire ; il préféra les Cordeliers, le foyer même de la violence et de la fureur, il crut au cœur des furieux. Un jour que des Cordeliers lui reprochaient de ne pas insister sur le procès du roi, de ne pas hâter sa mort, il dit brusquement : « Une nation se sauve, mais elle ne se venge pas… »

Ils admirèrent, se turent, mais le mot ne gagna point. Il y avait, sur cette affaire, une sorte de parti pris, une émulation et comme une gageure entre les