Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/70

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sibilité naïvement exaltée que montrait partout le peuple. Malheureusement, sa sensibilité se trahissait par deux effets contraires.

Les uns, émus de pitié pour les familles en deuil, pour ce grand désastre privé et public, voulaient justice et vengeance, une punition exemplaire ; si la loi ne la faisait pas, ils allaient la faire eux-mêmes.

Les autres, émus d’intérêt pour des hommes désarmés, qui, fussent-ils coupables, ne devaient, après tout, être frappés que par la loi, voulaient à tout prix sauver leurs ennemis, sauver l’humanité, l’honneur de la France.

Ces mouvements contradictoires de sensibilité, ici humaine, là furieuse, se trouvèrent plus d’une fois, chose bizarre, dans les mêmes personnes. Les tribunes de l’Assemblée étaient pleines d’hommes hors d’eux-mêmes, qui étaient venus tout exprès pour obtenir des lois de sang. Les Suisses étaient là tremblants dans les bâtiments des Feuillants, et la foule aux tribunes, aux cours, dans les rues voisines, attendant sa proie. Un député fit remarquer que ces infortunés Suisses n’avaient pas mangé depuis trente heures ; les tribunes furent émues. Un brave homme vint à la barre et dit qu’il priait les tribunes de l’aider à sauver les Suisses, de venir avec lui pour faire entendre raison à la foule du dehors. Tous le suivirent ; ils arrachèrent des mains du peuple plusieurs Suisses qu’il tenait déjà, rentrèrent avec ces malheureux ; ce fut la scène la plus extraordinaire et la plus attendrissante ; les victimes se