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l’occasion d’exhiber la relique à la France réunie.

Au défaut de l’unité de principe, la fête avait du moins une sorte d’unité historique. C’était comme une histoire en cinq actes de la Révolution.

Le tout froid et violent, forcé et néanmoins sublime.

Le péril et l’effort même, l’effort héroïque que l’on sentait partout donnait à l’ensemble une vraie grandeur.

David fut l’effort même. Par là il exprimait son temps[1]. Artiste tourmenté de la grande tourmente, génie pénible et violent qui fut son supplice à lui-même, David, dans son âme trouble, avait en lui les luttes, les chocs dont jaillit la Terreur.

  1. L’art se cherchait, comme l’époque. Sa puissance dormait encore en trois enfants, Gros, Prudhon, Géricault. Le roi d’alors était David. Ce que l’effort est à la force, David le fut à Géricault. — Élève d’architecte et non de peintre, David posa ses premiers regards sur des marbres, des lignes inflexibles, et il en garda la raideur. Il haïssait deux choses cruellement et leur faisait la guerre, la nature d’abord, la molle nature du dix-huitième siècle, puis les arts de son temps. Il exerçait ses élèves à jouer à la balle contre des Boucher, des Le Brun. Il aurait fait guillotiner Watteau, s’il eût vécu, et demanda qu’au moins on démolît la porte Saint-Denis. — Ce génie violent était mené, ce semble, par sa nature, aux études anatomiques, comme l’avait été Michel-Ange. Mais, pour sentir la mort, il faut sentir la vie. L’art antique absorba David, le marbre le retint, non pas malheureusement la sculpture grecque, mais l’antique de la décadence. — Chose étrange ! chaque fois qu’il s’oublia, laissa aller sa main, sans songer qu’il était David, dans tel dessin, dans tel portrait, il se retrouva un grand maître. Le mystère était là. Il y avait un très grand peintre en lui, mais autour de lui une école. Il se sentait trop responsable devant cette foule docile. Il fut trop professeur. L’âge de la Terreur, l’admiration, l’amitié de Robespierre, la royauté des arts qu’il eut alors, ont guillotiné son génie. — Il le sentait confusément et il en souffrait. Cette souffrance le rendait cruel. Elle le fécondait en quelque sens et elle l’annulait. La nature haïe de lui se vengeait, comme une femme maltraitée d’un époux ; elle allait caresser dans un coin ignoré le plus petit élève et d’un baiser créait Prudhon.