Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/338

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Ce Prométhée de 1793 prît de l’argile et en lira trois dieux, trois statues gigantesques : la Nature, aux ruines de la Bastille ; la Liberté, à la place de la Révolution ; le Peuple-Hercule terrassant la Discorde ou le Fédéralisme, à la place des Invalides. Un arc de triomphe au boulevard des Italiens, enfin l’autel de la Patrie au Champ de Mars, c’étaient les cinq points de repos.

Rude, immense improvisation. Les pierres de la Bastille n’étaient pas enlevées. Sur ce chaos confus on organisa une fontaine. La Nature, un colosse en plâtre, aux cent mamelles, jetait par elles en un bassin l’eau de la régénération. Chaque pierre était marquée d’inscriptions funèbres, des voix de la Bastille, des gémissements des prisonniers, des antiques douleurs. Le président de la Convention, le bel Hérault de Séchelles, homme aimable, aimé de tous les partis, vint à la tête du cortège, et dans une coupe antique puisa l’eau vive, étincelante des premiers rayons du matin. Il porta la coupe à ses lèvres et la passa aux quatre-vingt-six vieillards qui portaient les bannières des départements ! Ils disaient : « Nous nous sentons renaître avec le genre humain. » Ils burent, et le canon tonnait.

Le cortège s’allongea ensuite par les boulevards, les Jacobins en tête et les sociétés populaires. La bannière redoutable de la grande société, l’œil’ clairvoyant dans les nuages que montrait la bannière, marchaient et semblaient dire : « La Révolution te voit et t’entend. »