Page:Michelet - OC, Mémoires de Luther.djvu/19

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jouissances faciles, dans cette satiété précoce des sens et de l’esprit, comment se représenter les guerres spirituelles que se livrait en lui-même l’homme du moyen âge, les douloureux mystères d’une vie abstinente et fantastique, tant de combats terribles qui ont passé sans bruit et sans mémoire entre le mur et les sombres vitraux de la pauvre cellule du moine ? « Un archevêque de Mayence disait souvent : Le cœur humain est comme la meule d’un moulin. Si l’on y met du blé, elle l’écrase et en fait de la farine si l’on n’en met point, elle tourne toujours, mais s’use elle-même. »

« ... Lorsque j’étais moine, dit Luther, j’écrivais souvent au docteur Staupitz. Je lui écrivais une fois Oh ! mes péchés ! mes péchés ! mes péchés ! A quoi il me répondit : « Tu veux être sans péché, et tu n’en as pourtant aucun véritable. Christ a été le pardon des péchés. »

« Je me confessais souvent au docteur Staupitz, non d’affaires de femmes, mais de ce qui fait le nœud de la question. Il me répondait ainsi que tous les autres confesseurs : Je ne comprends pas. Enfin il vint me trouver à table et me dit : Comment donc êtes-vous si triste, frater Martine ? — Ah ! oui, je le suis, répondis-je. — Vous ne savez pas, dit-il, qu’une telle tentation vous est bonne et nécessaire, mais ne serait bonne qu’à vous. Il voulait dire seulement que j’étais savant, et que sans ces tentations je deviendrais fier et orgueilleux ; mais j’ai compris plus tard que c’était une voix et une parole du Saint-Esprit. »