Page:Michelet - OC, Mémoires de Luther.djvu/21

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je me plaignais, répondaient : Je ne sais pas. Alors je me disais : Suis-je donc le seul qui doive être si triste en esprit ?... Oh ! que je voyais des spectres et des figures horribles !... Mais il y a dix ans, Dieu me donna une consolation par ses chers anges, celle de combattre et d’écrire. »

Il nous explique lui-même longtemps après, l’année même qui précéda celle de sa mort, de quelle nature étaient ces tentations si terribles. « Dès les écoles, en étudiant les pitres de saint Paul, j’avais été saisi du plus violent désir de savoir ce que saint Paul voulait dire dans l’épitre aux Romains. Un seul mot m’arrêtait : Justitia Dei revelatur in illo. Je haïssais ce mot, Justitia Dei, parce que, selon l’usage des docteurs, j’avais appris à l’entendre de la justice active, par laquelle Dieu est juste, et punit les injustes et les pécheurs. Moi qui menais la vie d’un moine irrépréhensible, et qui pourtant sentais en moi la conscience inquiète du pécheur, sans parvenir à me rassurer sur la satisfaction que je pouvais faire à Dieu, je n’aimais point, non, il faut le dire, je haïssais ce Dieu juste, vengeur du péché. Je m’indignais contre lui. C’était en moi un grand murmure, si ce n’était blasphème. Je disais : N’est-ce donc pas assez que les malheureux pécheurs, déjà perdus éternellement par le péché originel, aient été accablés de tant de calamités par la loi du Décalogue ; il faut encore que Dieu ajoute la douleur à la douleur par son Évangile, et que dans l’Évangile même il nous menace de sa justice et de sa colère ?... Je m’emportais ainsi dans