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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/170

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Il fuit… Mais le mot « lâche » en écho se prolonge
Dans son cœur, et c’est comme un serpent qui le ronge.
« D’ailleurs de m’accuser, Télimène a le droit. »
Pense-il, « je suis bien coupable à son endroit. »
N’importe ; il ne lui peut pardonner cette offense.
Et Zosia ?… Ce n’est pas sans honte qu’il y pense…
Cette Zosia si belle et si douce, il pouvait
L’épouser, et son oncle à ses vœux souscrivait !
Et Satan, l’entraînant de mensonge en mensonge,
De sottise en sottise, en ce bourbier le plonge !
Repoussé, méprisé de tous, en un moment
Il perd son avenir ! Quel juste châtiment !

Dans ce chaos, dans cette effroyable tempête,
Son duel est le port où son esprit s’arrête :
« Tuer, tuer ce comte, ou mourir sous ses coups ! »
Dit-il, mais aussitôt : « Et pourquoi ce courroux ? »
Et sa prompte colère est vite évanouie.
Mais d’un grand désespoir son âme est envahie…
« Et s’il est vrai pourtant (j’en dois croire mes yeux)
Que le Comte et Zosia s’entendent tous les deux.
Eh bien, il peut aimer Zosia du fond de l’âme.
Zosia songe peut-être à devenir sa femme !…
De quel droit prétendrais-je entraver leur bonheur,
Et ferais-je sur eux retomber mon malheur ?… »

Mais où fuir ce tourment auquel son cœur succombe ?
Où trouver le repos, si ce n’est dans la tombe ?

Alors, penchant son front où se crispe son poing,
Il court vers les étangs qu’on voit briller de loin.
C’est vers l’étang fangeux qu’il s’élance ; l’eau verte
Attire son regard, et sa bouche entr’ouverte
En hume avec plaisir les morbides relents.
C’est que le suicide a ses raffinements
Comme toute débauche ; et lui, dans son délire,
Un invisible aimant vers la fange l’attire.

Mais Télimène a vu le jeune homme courir
Du côté des étangs ; sans doute il veut mourir,
Se dit-elle ; aussitôt son courroux l’abandonne.
Elle a peur ; car, au fond, Télimène était bonne.
Thadée en aime une autre, et c’est lui faire tort ;
Elle l’a donc puni, mais sans vouloir sa mort.
Vers lui, les bras levés au ciel, elle se jette