Aller au contenu

Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 161 —

En criant : « Que fais-tu ? Je te pardonne ; arrête ! »
« Pas de folie ! » Hélas ! il court tout haletant,
Et le voilà déjà sur le bord de l’étang.

Mais, par un jeu du sort, dont l’ordre veut qu’il vive,
Le Comte et ses jockeys suivaient la même rive.
Et le Comte, ravi devant ce ciel serein,
Admirant des étangs le concert sous-marin,
Ces deux chœurs, ou ces deux harpes éoliennes,
(Car nos grenouilles sont vraiment musiciennes,)
A fait halte. Oubliant son expédition,
Il regarde, il écoute avec attention.
Par les champs, par les cieux, son œil erre et voyage ;
Sans doute son esprit combine un paysage.
Le site est pittoresque, en effet. Les étangs,
L’un vers l’autre inclinés, ainsi que deux amants
Se regardent. A gauche on voit l’onde qui brille
Pure, lisse ; on dirait un front de jeune fille.
L’étang de droite est sombre, et paraît, moins uni,
Orner d’un duvet noir un visage bruni ;
Le premier que couronne un sable doré, semble
Paré de cheveux blonds ; au front de l’autre, tremble
Le roseau hérissé, le saule aux rameaux verts.
D’un tapis verdoyant tous deux sont recouverts.

Il en sort deux ruisseaux comme deux mains amies
Qui se joignent ; ils vont tomber dans les prairies,
Tomber, mais non périr ; car, dans l’ombre emporté,
Reluit sur leurs flots noirs le croissant argenté ;
L’onde en nappes jaillit, et parmi chaque nappe
Les rayons de la lune éparpillent leur grappe.
Le ruisseau s’en empare, et, fragment par fragment,
Les cachant dans son sein, fuit précipitamment,
Et toujours des rayons tombent du firmament.
On dirait qu’une nymphe, assise sur le sable,
Incline d’une main son urne intarissable,
Et de l’autre dans l’onde, en jouant, sème encor
Des paillettes d’argent et des paillettes d’or.

Plus loin, le ruisseau sort du ravin ; dans la plaine
Il s’étale apaisé ; mais, bien qu’il coule à peine,
Un léger tremblement révèle encor son cours,
Car les rayons de lune y folâtrent toujours.
Tel le serpent[1] sacré de la Samogitie,

  1. C’est le serpent appelé giwoitos.