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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/172

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Bien qu’il semble endormi, dans sa feinte inertie,
Rampe ; car tour à tour luisant d’argent ou d’or
Il brille et disparaît pour reparaître encor :
Tel le ruisseau se glisse et fuit parmi les aunes,
Qui, sur l’horizon noir dressant leurs formes jaunes
Et légères, ont l’air, flottant devant les yeux,
De fantômes qui vont se perdre dans les cieux.

Entre les deux étangs un vieux moulin s’abrite.
Comme un tuteur guettant deux amants, qui s’irrite
D’entendre leurs aveux, et d’un air menaçant
Agite ses deux mains et sa tête en grinçant ;
Tel ce moulin, penchant son front couvert de mousse,
A fait voler ses bras que dans les airs il pousse…
Mais à peine ont claqué sa mâchoire et ses dents,
L’entretien amoureux cesse entre les étangs,
Et le Comte s’éveille.

Et le Comte s’éveille. Il voit alors Thadée
Qui s’approche en courant… D’une voix irritée
Il crie : « Aux armes ! là ! » Les jockeys ont bondi :
Avant de rien comprendre à ce qu’on veut de lui,
Thadée est pris. On court chez le Juge ; on pénètre
Dans la cour. Chiens, gardiens, tout crie en chœur. Le maître
Sort à moitié vêtu. Quels sont ces furieux ?
Sans doute des voleurs ? Quoi ! Le Comte avec eux !
Et du Comte l’épée a brillé sur sa tête :
Mais le Juge est sans arme. Et le Comte s’arrête.
« Eternel ennemi de moi-même et des miens,
Je séquestre, dit-il, ta personne et tes biens ;
Tu me rendras d’abord mon antique héritage,
Avant que dans ton sang je lave mon outrage. »

Le Juge, se signant avec horreur, lui dit :
« Fi donc ! Monsieur le Comte ! Etes-vous un bandit ?
Par le ciel ! est-ce donc agir en gentilhomme,
En parfait cavalier que partout on renomme ?
Je ne céderai pas ! » Tout à coup du logis
Sortent ses gens armés de bâtons, de fusils :
Derrière eux le Woïski vers le Comte se penche
Et l’observe, en cachant son couteau dans sa manche.

On en venait aux mains : le Juge le défend.
A quoi bon ? N’est-ce pas du renfort qu’on entend ?
Dans les aunes déjà l’un tire, l’autre crie :