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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/199

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Les vents s’engouffrent dans les bois, et sous leur ombre
Hurlent comme des ours.

Hurlent comme des ours. Mais des gouttes sans nombre
Commencent à tomber ; puis la foudre en grondant
Eclate… Alors la pluie à flot plus abondant
Joint le ciel à la terre en longs filets liquides
Ou se répand par seaux en cascades rapides.
Et la terre et le ciel sont plongés dans la nuit ;
L’orage ténébreux a vaincu : le jour fuit.
Parfois de part en part tout l’horizon s’entr’ouvre :
L’ange de la tempête apparaît, et découvre
Son front étincelant, puis soudain il a fui :
La foudre a refermé les nuages sur lui.
La tempête redouble encor ; l’averse gronde
Et l’ombre s’épaissit de plus en plus profonde.
Puis l’averse s’apaise et la foudre s’endort ;
Elle s’éveille et tonne… et l’eau tombe plus fort.
Enfin tout s’est calmé ; seul le feuillage plie
Encore sous le vent et pleure avec la pluie.

L’orage ce jour-là survenait à propos
Pour laisser aux vainqueurs un instant de repos.
Les ponts rompus, les flots envahissant la route
Avaient de Soplitzow fait comme une redoute,
Si bien qu’on ne sut rien des combats du matin ;
Or, c’est de ce secret (le fait est bien certain)
Que des triomphateurs dépendait le destin.


Dans la chambre du Juge on est en conférence.
Robak couché, tout pâle, et, malgré sa souffrance,
Conservant jusqu’au bout sa présence d’esprit
A voix basse commande — et le Juge obéit.
Le Président, Gervais sont mandés. Sous escorte
On amène Rykow, puis on ferme la porte.
On causa plus d’une heure ainsi secrètement.
Mais Rykow à la fin s’écria brusquement
En jetant sur la table une bourse sonnante ;
« C’est pour vous, Polonais, une chose étonnante
Qu’un Russe qui n’est pas un voleur ; et pourtant
Vous pourrez dire un jour, Messieurs, en me citant,
Qu’il en est un, qu’il a dans cinquante batailles
Gagné (n’oubliez pas !) trois croix et huit médailles :
L’une vient d’Oczakow, l’autre d’Ismaïlov,