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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/198

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Derrière eux le pourceau grogne, se traîne, rôde,
Et vole des épis qu’il emporte en maraude.
Les oiseaux sont rentrés dans l’herbe ou sous les bois.
Seule, près des étangs, la corneille aux abois
A pas graves et lents arpente les rivages :
Elle lève ses yeux noirs vers les noirs nuages.
De son large gosier pend sa langue ; elle étend
Ses ailes ; elle a soif de l’orage ; elle attend.
Mais bientôt, prévoyant une averse trop forte,
Elle fuit à son tour au bois : l’effroi l’emporte.
Seule enfin l’hirondelle (à peine on peut la voir),
Rapide comme un trait fend le nuage noir
Et s’abat comme un plomb.

Et s’abat comme un plomb. Juste à cette minute,
Russes et Polonais avaient fini leur lutte ;
Tous en foule gagnaient la grange et la maison,
Laissant les vents toujours muets à l’horizon
Reprendre le combat.

Reprendre le combat. A l’est, encor dorée,
La terre de rayons sanglants est colorée ;
Le nuage, étendant le filet de la nuit,
Éteint les derniers feux du soleil, qu’il poursuit
Comme s’il le voulait saisir, avant qu’il tombe.
Les vents, rasant le sol, passent comme une trombe.
L’un suit l’autre, lançant, comme d’énormes plombs,
De larges gouttes d’eau qu’on croirait des grêlons.

Bientôt tous furieux s’entrechoquent, s’étreignent ;
Leurs tourbillons bruyants dans les étangs se baignent :
Ils grincent en troublant les profondeurs des eaux,
Ils courbent en sifflant les joncs et les roseaux.
Les branches craquent ; l’herbe est dans l’air balayée.
Et, comme des cheveux arrachés par poignée,
Vole avec les débris des gerbes. Vers le champ
Le vent court ; il le creuse, il s’y vautre en hurlant,
Brise le sol, et fraie un passage à la trombe,
Qui, des sillons brisés montant comme une bombe,
Perce, en tournant, le sol de son front furieux
Et lance de ses pieds du sable jusqu’aux cieux.
Elle va se gonflant, et, s’entr’ouvrant au faîte,
De son clairon géant annonce la tempête.
Puis, avec ce chaos, de terre, de gazon,
De feuilles, d’eau, de paille, atteignant l’horizon,