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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/216

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« Mais l’arme à feu… Qu’un doigt pèse sur la détente,
« Un instant, un éclair, il suffit…

Ai-je fui quand d’en haut tu tiras sur moi ? — Non.
De ton fusil mes yeux regardaient le canon ;
Le désespoir semblait m’avoir cloué sur place !
Oh ! si de me tuer tu m’avais fait la grâce,
« Mon bon Gervais !… Hélas ! Je devais réparer
Mon crime… »

Mon crime… » Il s’arrêta, ne pouvant respirer.
« Dieu sait », reprit Gervais, « si j’en avais l’envie !
Tu méritais cent fois qu’on t’arrachât la vie.
Oh ! que ce meurtre a fait verser de sang, de pleurs,
Et sur nous et les tiens amené de malheurs !
Mais, n’as-tu pas sauvé d’une balle assassine
Le seul des Horeszkos en ligne féminine,
Ce matin ? Quand j’allais succomber à mon tour,
Ton stratagème seul m’a conservé le jour.
Puisque des Bernardins Jacek porte la robe,
Aux coups de mon Canif cet habit le dérobe.
Adieu. Je ne saurais demeurer en ce lieu.
Nous sommes quittes, nous. Laissons le reste à Dieu. »

Jacek lui tend la main. Mais Gervais se recule.
« Je ne saurais », dit-il « (excuse ce scrupule),
« Toucher la main qui fit périr un innocent,
Non pour le bien public, mais par ressentiment. »

Hyacinthe est retombé sur son lit ; et, tout pâle,
Il fait un signe au Juge ; et d’une voix qui râle
Il le supplie encor d’appeler le curé.
Puis, parlant à Gervais d’un ton plus assuré :
« Reste, je veux finir La force m’abandonne.
Gervais, je vais mourir ; ma dernière heure sonne. »

— « Que dites-vous ? » cria le Juge. « Ce n’est rien :
À quoi bon le Curé ? Peut-être on n’a pas bien
Pansé votre blessure ; et dans ma pharmacie
J’ai… » — « Trop tard », dit Robak ; « non, je vous remercie
J’avais une blessure ancienne d’Iéna.
Elle était mal fermée ; — et la gangrène est là.
Je m’y connais. Ce sang, noir comme de la suie,
Voyez. Le médecin n’y peut rien. Mais la vie,
Qu’importe ? Il faut mourir ou plus tard ou plus tôt.
Tu me pardonneras, Gervais. Encore un mot !