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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/218

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Car n’ayant pas cherché la gloire de la terre,
Je préfère cent fois aux actes glorieux
Et bruyants, d’autres faits humbles, silencieux,
Mais utiles, que nul…

J’ai, des Russes souvent trompant les sentinelles,
Porté des ordres, ou recueilli des nouvelles,
Ou conclu des accords… On connaît aussi bien
Mon froc sur la Wartha que chez le Galicien ;
J’ai roulé la brouette un an, captif en Prusse.
Trois fois mon dos saigna sous le bâton du Russe.
J’ai vu la Sibérie ; et, plus tard, au Spielberg,
Je fus enseveli sans lumière et sans air
Au 'Carcere duro : Dieu m’a sauvé la vie
Pour me laisser au moins mourir dans ma patrie
Avec les sacrements…

Mais maintenant peut-être ai-je encore péché !
De former le complot je me suis dépêché ;
Je voulais que les miens se missent à la tête,
Et que notre maison fût la première prête !
Ce désir était-il innocent ?…

Gervais, tu t’es vengé !… Car de mon châtiment
En te laissant agir Dieu t’a fait l’instrument..
Ce complot, mon seul rêve et mon unique envie,
Ce complot, devenu le seul but de ma vie,
Qui seul encor faisait que je craignais la mort,
Lui que je caressais comme un enfant qui dort,
Tu l’as tué, Gervais… Eh bien, je te pardonne !
Et toi ?…

Et toi ?… — « De son pardon Dieu te fasse l’aumône ? »
Dit Gervais. « Si tu dois recevoir le bon Dieu,
Jacek, je ne suis pas un Luthérien, morbleu !
Attrister un mourant d’ailleurs serait un crime,
Et, pour te consoler, sache que ta victime,
Lorsque déjà ta balle au cœur l’avait touchée
Quand au-dessus de lui je me tenais penché,
En trempant dans son sang le bout de ma rapière,
Tendit sa main vers toi ; puis, rouvrant sa paupière,
Il traça dans les airs le signe de la croix.
Sa main te pardonnait à défaut de la voix.
Je le compris ; mais, dans mon ardeur de vengeance,
Sur ce signe de croix je gardai le silence. »