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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/239

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Qui veut que de tout bien les possesseurs nouveaux
Servent le premier jour leurs gens et leurs vassaux.

Les hôtes cependant demeurés dans la salle
Contemplent du couvert la pièce principale.
C’est un service monstre, artistique, en or fin :
Le prince Radziwiłł surnommé l’Orphelin[1]
Autrefois, paraît-il, le fit faire à Venise,
Mais en traça le plan, pour l’avoir à sa guise.
Puis par les Suédois il lui fut enlevé ;
Et chez le Juge enfin le Woïski l’a trouvé.
Il s’étale en ce jour au milieu de la table
Comme une roue immense à l’orbe formidable.

Du fond jusqu’à ses bords ce service, couvert
De crème et d’œufs fouettés, représente l’hiver.
C’est un tableau complet, dont le milieu figure
Une grande forêt faite de confiture,
Qu’entourent de maisons de bizarres amas,
Couverts de sucre blanc en guise de frimas.
Quels sont ces ornements dont la bordure est pleine ?
Des hommes tout petits, soufflés en porcelaine,
En habit polonais ; on croirait des acteurs
Sur la scène jouant devant des spectateurs.
Leur geste est expressif, leurs couleurs éclatantes ;
S’ils parlaient, on dirait des personnes vivantes.

« Que représentent-ils ? » demande un invité.
Le Woïski s’inclinant dit avec gravité,
(Aux hommes cependant l’on versait de l’eau-de-vie) :
« Puisque d’en être instruit l’on m’exprime l’envie,
Ces figures qu’ici vous voyez se suivant,
D’une diétine sont l’historique vivant.
Délibération, cris de joie ou de haine,
Je vais vous détailler, messieurs, toute la scène.

A droite, voyez-vous ces nobles assemblés ?
Pour un banquet sans doute on les a conviés.
La table attend, servie : aucun n’a pris sa place,
Mais pour délibérer en groupes on s’entasse.
Dans chaque groupe au centre est un homme entouré.
A sa bouche entr’ouverte, à son œil assuré,
A ses gestes, on voit qu’il parle, qu’il explique,

  1. Radziwiłł-Sierota (l’orphelin) entreprit des voyages lointains et publia une description de son pèlerinage en Terre Sainte. (Note de l’auteur).