Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/45

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l’amour que l’espérance ou le regret. Ont-elles retracé les premiers troubles d’une ardeur naissante, la puissance d’un premier regard, le charme d’un premier aveu, elles éprouvent l’embarras de poursuivre; leur main timide soulève à peine le voile qui protège les tendres mystères. Elles n’osent parler de l’amant heureux sans rougir; mais elles regrettent l’amant ingrat, quoique ce regret soit l’aveu d’une faiblesse passée. Elles semblent ainsi n’avoir le droit de chanter que le bonheur qui n’est pas encore et le bonheur qui n’est plus.

Ce n’est pas que l’amour passionné s’asservisse toujours, même chez les femmes, aux lois d’une réserve rigoureuse. Qu’Héloïse, adorant l’ombre d’un amant qui respire encore, se livre dans ses lettres brûlantes à tous les mouvements d’une âme bouleversée; qu’elle préfère à Dieu celui qui n’est plus même un homme: qu’elle le poursuive de ses feux jusqu’aux pieds des autels; le délire de ses expressions trouve son excuse dans l’excès de son infortune. Quoique fort savante, Héloïse n’est point auteur; elle ne compose pas, elle écrit: elle écrit à celui qui ne veut plus, qui ne doit plus l’entendre. Son éloquence est dans son désespoir. Jamais la plainte ne s’était élevée à un tel degré d’exaltation et de force; mais combien elle est plus pénétrante encore, lorsque, fatiguée de ses emportements, elle retombe dans l’abattement extrême qui succède toujours aux convulsions de la souffrance ! Comme alors les doux souvenirs du passé s’unissent douloureusement aux angoisses de la situation présente ! qu’ils laissent dans l’âme une impression profonde et triste, ces détails d’une vie autrefois paisible , ces retours amers vers des temps qui ne reviendront plus ! Honneur à l’illustre Pope, qui a reproduit sans les affaiblir, et en les embellissant quelquefois, les traits énergiques ou atten