Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/50

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L’esprit est loin de suffire à l’Élégie; le talent même n’y suffit pas toujours; pour rapprocher les exemples, qu’il me soit permis de franchir quelque espace, et de rappeler les essais élégiaques d’un poète[1] justement célèbre à plus d’un titre, et dont notre époque doit s’honorer, tout en signalant ses erreurs. Des imitations souvent heureuses de Tibulle et de Properce; des vers bien faits, mais trop ambitieux; des expressions fortes, mais hors du genre; des tours hardis, mais forcés, et plus latins que français; l’attirail usé de la vieille poésie, qui n’est pas la poésie antique; un style laborieux et tendu, quelquefois de l’élégance, rarement de la grâce, presque jamais de naturel; et, à travers les fautes, des morceaux qui étincellent de beautés : tel est à peu près le jugement qu’en a porté la critique la moins rigoureuse, et que je crois même avoir encore adoucie. On avait aussi remarqué que l’auteur exprimait avec plus d’effort les passions douces que les mouvements d’une âme irritée. La dernière de ses Élégies en est la preuve : elle s’adresse à Némésis, non l’une des beautés chères à Tibulle, mais la déesse implacable des vengeances. Jamais la virulence de la haine ne fut poussée plus loin que dans cette pièce brûlante de verve et d’animosité. Jamais la satire ne frappa ses victimes d’un fouet plus sanglant. Mais quelles victimes avait choisies le poète, le poète élégiaque !

Si beaucoup de poèmes prennent le titre d’Élégies sans en avoir le caractère, beaucoup aussi, sans en porter le titre, sont des Élégies véritables : les exemples s’offrent en foule dans la Bérénice du tendre Racine. Eh ! qui mieux que Racine eût plié sa voix aux accents d’une Muse

  1. académie, Le poète Lebrun (1729 - 1807). Élu en 1803 au fauteuil 20.