Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du malheureux Gilbert : Au banquet de la vie, infortuné convive; et enfin tant d’autres productions où règne, comme dans certaines odes d’Horace, une aimable et rêveuse philosophie.

Mais pourquoi différer encore à citer deux noms si chéris de la Muse des amours ? Pourquoi retarder l’hommage que réclament à la fois deux poètes contemporains, diversement remarquables dans un genre pareil ? Nés sous le même climat, réunis par les mêmes goûts, ambitionnant la même palme sans jalousie, on pourrait appliquer à Bertin[1] et à Parny[2] les vers où Virgile annonce deux jeunes pasteurs rivaux dans l’art du chant :

Arcades ambo.

Tous deux portaient en même temps la lyre et l’épée; mais le sort voulut que la carrière des armes ne fût pour eux que celle des plaisirs. Ils oubliaient sous les ombrages de Feuillancour les bananiers de leur patrie, et regrettaient peu l’Isle-de-France aux joyeux soupers de la Caserne[3]. Abandonnés aux goûts nonchalants de leur pays, ils ne donnaient encore aux Muses que ce qu’ils appelaient leurs moments perdus, c’est-à-dire les courts intervalles qui séparaient les festins et des plaisirs plus doux ; mais Parny se vit à regret forcé de repasser les Tropiques, il partit : Éléonore et l’amour l’attendaient dans son île. Trop près du bonheur pour le bien chanter, il le goûtait en silence. Ce ne fut qu’après un long terme, et dans le calme de la solitude, qu’il essaya de rendre présent ce qui n’existait plus que dans ses souvenirs. L’apparition d’un petit nombre de ses pièces érotiques fut, à cette époque, une espèce de prodige. L’Amour, longtemps

  1. poète français (1752 — 1790)
  2. poète français (1753 — 1814)
  3. Réduit où se réunissait la cohorte d’Epicuriens décorée du ruban gris de lin.