Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/53

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travesti dans les vers cavaliers des gens du bel air, s’étonna de retrouver ses traits et son langage : les grâces du naturel prévalurent sur les manières du faux bel esprit, et l’école du persiflage ne parut bientôt plus que celle du ridicule.

Les premiers succès de son ami échauffèrent l’imagination de Bertin. Les entretiens de Parny achevèrent de l’enflammer. Comme ce général qui se disait tous les jours : « Je veux être un grand capitaine,» Bertin se répétait : « Je serai un poète élégiaque.» Il se retira dans une campagne, seul avec Tibulle, Properce, Catulle, Ovide et Horace; les lisant, les relisant sans cesse, la plume à la main, il traduisit en vers leurs passages les plus saillants, les refondit en un corps d’ouvrage, et de ses emprunts parvint à se faire un fonds. Parny, plus sobre dans ses imitations, n’empruntait aux poètes anciens, quelquefois même aux prosateurs modernes[1], qu’un petit nombre de traits délicatement choisis, mais que la nature lui eût offerts sans leur secours, car il avait ressenti une passion profonde. Plus souvent heureux, Bertin n’aimait que le plaisir. Parny, plus sensible et plus tendre, semblait en quelque sorte n’aimer dans l’amour que l’amour môme. De leurs impressions diverses dut résulter la différence de leurs talents. On sent que l’un retrace fidèlement et dans leur ordre naturel les circonstances, les vicissitudes d’un amour qui n’a rien d’imaginaire. On s’aperçoit que l’autre, s’il est permis de le dire, s’arrange pour être passionné; qu’il réunit les traits épars de sa vie amoureuse pour en former un ensemble et se composer une amante poétique de vingt maîtresses réelles. Il prend ses détails tantôt dans son esprit, tantôt chez les anciens; et tour à tour on

  1. Surtout à J.-J. Rousseau.