Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/98

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s’en ressouvint bientôt, et couvrit ses perturbations d’un dehors de calme : artisan de fraude, ce fut lui qui le premier pratiqua la fausseté sous une apparence sainte, afin de cacher sa profonde malice renfermée dans la vengeance. Toutefois il n’est pas encore assez exercé dans son art pour tromper Uriel une fois prévenu : l’œil de cet archange l’avait suivi dans la route qu’il avait prise ; il le vit sur le mont Assyrien plus défiguré qu’il ne pouvait convenir à un esprit bienheureux ; il remarqua ses gestes furieux, sa contenance égarée alors qu’il se croyait seul, non observé, non aperçu.

Satan poursuit sa route et approche de la limite d’Éden. Le délicieux paradis, maintenant plus près, couronne de son vert enclos, comme d’un boulevard champêtre, le sommet aplati d’une solitude escarpée ; les flancs hirsutes de ce désert, hérissés d’un boisson épais, capricieux et sauvage, défendent tout abord. Sur sa cime croissaient à une insurmontable hauteur les plus hautes futaies de cèdres, de pins, de sapins, de palmiers, scène sylvaine ; et comme leurs rangs superposent ombrages sur ombrages, ils forment un théâtre de forêts de l’aspect le plus majestueux. Cependant, plus haut encore que leurs cimes montait la muraille verdoyante du paradis : elle ouvrait à notre premier père une vaste perspective sur les contrées environnantes de son empire.

Et plus haut que cette muraille, qui s’étendait circulairement au-dessous de lui, apparaissait un cercle des arbres les meilleurs et chargés des plus beaux fruits. Les fleurs et les fruits dorés formaient un riche émail de couleurs mêlées : le soleil y imprimait ses rayons avec plus de plaisir que dans un beau nuage du soir, ou dans l’arc humide, lorsque Dieu arrose la terre.

Ainsi charmant était ce paysage. À mesure que Satan s’en approche, il passe d’un air pur dans un air plus pur qui inspire au cœur des délices et des joies printanières, capables de chasser toute tristesse, hors celle du désespoir. De douces brises, secouant leurs ailes odoriférantes, dispensaient des parfums naturels, et révélaient les lieux auxquels elles dérobèrent ces dépouilles embaumées. Comme aux matelots qui ont cinglé au delà du cap de