Page:Mirabeau - Hic et Hec, 1968.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guère vécu qu’avec d’élégants Français ou de bons citadins, croyait que les Suisses ne pouvaient l’emporter en civilité sur ses compatriotes, et se hâta d’accepter le marché. On a soupé gaîment, le bourgogne et le montrachet n’ont pas été ménagés, la vieille s’est bien repue, bien égayée, puis a présidé au coucher ; on a vu poser l’or sur la table de nuit et le Suisse a prétendu qu’elle lui devait deux louis. Justine, interrogée sur le fait des articles, a confirmé par son aveu les prétentions du Bâlois ; Sara a redoublé ses cris, et l’Helvétien, pour l’apaiser, l’a renversée sur le lit et lui a fait cadeau du treizième ; elle a pris son mal en patience, mais en jurant ses grands dieux qu’elle ne ferait plus de pareil marché qu’avec des Français.

— La nièce, observa l’évêque, avait moins d’humeur que la tante.

Mme Valbouillant remarqua que le bon Bâlois s’était sans doute ainsi comporté pour honorer les saints apôtres, et avait réservé le Judas pour Sara.

— Quoiqu’il en soit, dis-je alors, je voudrais me faire naturaliser Suisse, si j’étais sûr que le droit de bourgeoisie chez eux me procurât d’aussi rares talents.

— Ce n’est pas quand on vous ressemble, l’abbé, qu’on doit former de pareils vœux, et vous prouvez que l’état théocratique fournit les plus précieux sujets pour la volupté.

Ce propos valait bien un remerciement, j’embrassai la belle Valbouillant, sa main chercha si j’étais digne de l’éloge qu’elle venait de me