Page:Mirabeau - Hic et Hec, 1968.djvu/109

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lant à nous raconter quelqu’une de ses aventures, en attendant que l’heure du dîner nous rappelât au château.

« J’avais vingt ans, dit-il ; j’étais capitaine de dragons, et mon régiment, cantonné dans la Lorraine, y goûtait toutes les douceurs dont ce charmant pays abonde ; dans la petite ville où ma troupe était en quartier, habitait la jeune épouse d’un vieil officier général qui était en tournée pour une inspection dont le gouvernement l’avait chargé ; elle était musicienne, chantait bien, jouait agréablement la comédie, dansait avec grâce et légèreté ; cette conformité de talents la disposait en ma faveur et me faisait désirer de me lier avec elle ; je l’accompagnai avec mon violon dans une ariette italienne, et mes applaudissements parurent la flatter ; je demandai et j’obtins la permission de lui faire ma cour chez elle, mais la présence d’une vieille belle-sœur, qui restait toujours au salon, me gênait dans l’aveu que je voulais lui faire de ma tendresse ; elle s’en aperçut, sourit malicieusement, mais elle n’éloignait pas le témoin importun. Je lui donnai des billets, des vers passionnés, elle les recevait, en paraissant satisfaite, mais elle n’y répondait jamais. Vous savez que je suis ardent, et même impatient, et j’avais peine à supporter cet état ; je m’ennuyais de rester toujours au même point. Pour en sortir et pouvoir m’expliquer librement sans la compromettre, je supposai un voyage que je devais faire à Nancy, où elle avait des parents, je m’offris de me charger de ses dépêches et je demandai qu’elle me permît de venir le lendemain les prendre à son lever.