Page:Mirabeau - Le Rideau levé ou l'éducation de Laure, 1882.djvu/148

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LE RIDEAU LEVÉ


encore susceptible d’un tendre attachement ? Crois-tu qu’elle ait moins de prix qu’une veuve, à mérite égal, sur qui l’on aura jeté quelques gouttes d’eau, et marmotté des paroles, pour lui permettre de coucher avec un homme au su de tout le monde, et d’en promener les fruits avec ostentation ? Dis-moi, n’en a-t-elle pas plus que tant de veuves et même de prétendues filles dont le mérite est inférieur ? Les femmes sont-elles donc comme les chevaux, auxquels on ne met de prix qu’à proportion qu’ils sont neufs ? Écoute mes principes, ma chère fille ; je serai satisfait s’ils peuvent te tranquiliser et te persuader que je t’aime aussi tendrement et que je ne t’estime pas moins qu’auparavant.

Rien ne me surprend si peu que de voir faire une infidélité, quoiqu’on ait le cœur rempli d’une affection bien tendre pour un objet qu’on chérit uniquement ; j’en suis un exemple pour toi. Je t’aime, ma Laurette, et mon amour est né presque avec toi ; je peux même assurer que tu avais à peine sept ans, que je n’aimais uniquement que toi ; tu remplis entièrement mon cœur ; t’en ai-je moins fait d’infidélité avec Lucette, avec Rose et même avec Vernol ? Crois-moi, cette action, qui tient à la constitution de nos organes, est trop naturelle pour n’être pas pardonnable, tandis que l’inconstance, qui provient du sentiment, ne me le paraît pas, lorsque l’objet auquel nous nous sommes engagés par les liens de