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LE RIDEAU LEVÉ


soins, et mon cœur avait peine à soutenir les épanouissements qu’il ressentait pour lui. Nous nous ménageâmes de plus en plus ; plus tendres, plus voluptueux et délicats que passionnés, nous passions souvent des nuits dans les bras de l’un de l’autre sans autre plaisir que celui d’y être, accompagné de douces caresses.

Quelquefois, rappelant à ma mémoire ce qui s’était passé, le souvenir m’en donnait un vrai chagrin, et dans une de ces nuits heureuses où mon cœur, plein de lui, jouissait de toute sa félicité, il m’échappa de le lui faire connaître ; j’en versais des larmes.

— Qu’as-tu donc, ma chère Laurette ? Pourquoi répands-tu des pleurs ? Tes joues viennent d’en mouiller les miennes.

— Ah ! cher papa, vous ne devez plus m’aimer, vous ne pouvez plus estimer votre fille. Je ne peux concevoir comment, dépendant de vous et de vos volontés, vous avez pu vous prêter aux écarts et aux extravagances d’une imagination fascinée, et permettre que je m’y livre.

— Es-tu folle, ma chère enfant ? Crois-tu que je fasse dépendre mon estime et mon amitié des préjugés reçus ? Qu’importe qu’une femme ait été dans les bras d’un autre amant, si les qualités de son cœur, si l’égalité de son humeur, la douceur de son caractère, les agréments de son esprit et les grâces de sa personne n’en sont point altérés, et si elle est