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LE RIDEAU LEVÉ


sions qui du plus au moins mènent et maîtrisent tous les hommes pendant leur vie, nous déterminent et nous entraînent nécessairement dans un enchaînement de circonstances qui forment le tissu dont notre existence est enveloppée, et fais-y bien attention, ma Laure, ces trois mobiles, qu’on pare souvent de voiles brillants et de noms adoucis, sont les seuls qui mettent en mouvement les humains et qui les gouvernent : tels individus par un, par deux ; tels autres par tous les trois ensemble, suivant la marche qui leur est tracée et la carrière qu’ils ont à parcourir.

Si l’on a reçu de la nature et du rôle qu’on doit faire un cœur susceptible d’une passion forte et durable, d’un attachement tendre et délicat, c’est l’agonie des humeurs et des caractères qui les approche et les unit. L’idée du plaisir est plus éloignée ; on en est moins affecté que de l’intimité d’une union remplie de douceurs et d’agréments, qui allie les esprits et les goûts. On est méprisable de relâcher, par sa faute, des liens de fleurs que vivifie et entretient l’aménité ; aussi ces chaînes sont-elles bien difficiles à rompre, et cette modification dans les individus a des influences bien plus déterminées. On y mêle, il est vrai, les sensations du plaisir, mais leur genre a quelque chose de différent. Il est un âge où tout ce que je te dis, ma chère Laurette, paraît une fable ; cependant il est puisé dans la nature.