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LE RIDEAU LEVÉ

Arrive enfin, à pas plus ou moins lents, l’habitude, qui, sans éteindre les sentiments, sans détruire ces liens aimables, émousse néanmoins cette pointe de volupté, amortit cette vivacité de désirs qu’un nouvel objet fait renaître, désirs qui semblent ajouter à notre existence et faire mieux sentir le prix et les charmes de la vie dont on jouit ; mais on n’en est point moins fixé. Si l’on peut avoir assez de raison et de fermeté pour sacrifier une fantaisie, un caprice, un écart momentané qui pourrait détruire l’accord d’une union intime, il n’y a pas à balancer ; mais la jalousie, qui vient y jeter ses serpents, ne la détruit-elle pas plus encore que cette infidélité passagère ? et n’est-il pas nécessaire que de part et d’autre on sache se prêter sans humeur et sans tracasseries aux lois imposées par la nature, dont la puissance est invincible ? Écoutons sa voix, elle parle partout ; ne fermons point nos oreilles et notre entendement à ce qu’elle prononce et démontre ; elle annonce en tout la variété, et même que tout finit. Pourquoi se plaindre d’une loi qui ne peut être éludée, à laquelle nous sommes absolument soumis, et aussi despotique que celle de la destruction qui anéantit la modification de notre être ? L’amour-propre et ce fatal égoïsme nous y font résister. Eh bien ! qu’on ne la seconde pas, cette loi, elle n’en a pas besoin, mais qu’on détourne la vue sans aigreur.