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LE RIDEAU LEVÉ


peu de temps après la mort de son père, elle tomba dans une maladie de langueur dont elle eut beaucoup de peine à se rétablir pendant plus de deux ans. Son père lui avait laissé un bien-être qui la fit rechercher dans son canton : elle ne voulait entendre parler de qui que ce soit ; elle trouvait, suivant ses lettres, une si grande différence entre mon papa et tous ceux qui se présentaient pour elle, qu’elle en était révoltée ; enfin, elle ne voulait écouter aucune proposition de mariage, et ne soupirait qu’après son retour près de nous. Néanmoins, sollicitée par sa mère et ses autres parents, qui lui représentaient les avantages qu’elle y trouvait et le besoin que sa mère infirme avait d’elle, la complaisance arracha son consentement contre son gré, après avoir cependant consulté mon papa, en qui elle avait la plus entière confiance. Comme le parti qui s’offrait était effectivement très avantageux, il se crut obligé, par ses principes, de lui conseiller de l’accepter, ce qu’il fit avec une véritable répugnance, m’ayant assuré plusieurs fois qu’il avait un pressentiment de son malheur auquel il ne voulait pourtant pas ajouter foi, le regardant comme une faiblesse ; cependant, elle mourut des suites de sa première couche.

Je regrettais souvent l’éloignement de Lucette, que je regardais perdue pour moi, mais je me consolais dans les bras de ce cher et tendre papa. J’avais enfin totalement quitté