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LE RIDEAU LEVÉ


je t’abandonne à toi-même, et tu m’es trop chère pour que je ne cherche pas à te ménager avec toute l’attention qui peut dépendre de moi ; cependant tu jouiras de nos caresses, tu nous en feras ; sans gêne avec toi, tu partageras, en quelque façon, nos plaisirs, et de temps en temps, nous te réserverons une nuit pareille, que tu trouveras d’autant plus agréable que tu l’attendras avec impatience ; enfin, si tu veux me plaire ; tu te prêteras à ce que je désire de toi, et tu y consentiras avec complaisance.

C’était un moyen assuré de ne me pas faire regarder cet emprisonnement comme insupportable. Ne crois pas non plus, ma chère, que ce soit par un trait de jalousie ; tu verras bientôt le contraire. Je le laissai donc faire. Ah ! chère Eugénie, que je m’en suis bien trouvée !

Il y avait déjà près de dix-neuf mois que j’avais passé l’heureuse soirée dont je viens de te retracer le tableau, lorsque j’eus le chagrin de voir l’éloignement de Lucette. Son père, qui demeurait en province, la rappela près de lui ; une maladie dangereuse lui fit désirer absolument son retour avant de mourir. Son départ nous causa la peine la plus sensible ; nos larmes sincères furent confondues avec les siennes ; pour moi, je ne pouvais retenir mes sanglots, qui ne furent enfin suspendus que par l’espérance et le désir qu’elle nous témoignait de revenir au plus tôt ; mais