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LE RIDEAU LEVÉ


humeur égale, d’un caractère fort doux. Ils avaient une sœur fort gentille, qui atteignait ses quinze ans et demi.

Représente-toi, chère Eugénie, une petite brune claire, teint animé, œil vif, nez troussé bouche agréable et vermeille, taille découplée, toute mignonne, d’une vivacité pétulante, folle autant qu’il se puisse, et outre cela très amoureuse, mais fine et en même temps discrète sur ce qui pouvait avoir trait à ses plaisirs. Tous les jours elle plaisantait sur les sermons que lui faisait de temps en temps sa bonne dévote de mère. J’avais lié connaissance avec elle plus particulièrement, huit ou neuf mois après le départ de Lucette, et par cette occasion j’avais fait celle de son jeune frère, lorsqu’il revint avec elle. Souvent ils venaient me voir et il ne se passait guère de jour que nous ne fussions ensemble. Sa mère en était d’autant plus satisfaite, qu’elle me donnait journellement pour exemple à sa fille. Il est vrai que je tenais de la nature et de l’éducation que je recevais de mon papa un air plus réservé. Ne penses-tu pas, Eugénie, avec moi, que si dans nos usages l’amour dégrade notre réputation, l’imprudence dans le choix et dans la conduite y contribue totalement, et surtout ces airs de coquetterie, ces façons libres et qui ne tiennent à rien, quoique souvent elles n’aillent pas plus loin ; tandis qu’une hypocrite, une dévote, une femme attentive aux dehors, la sauvent, en jouissant