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LE RIDEAU LEVÉ


même, s’il est plein des mêmes sentiments, faut-il que des désirs violents, souvent pour un vain fantôme qu’on se crée, nous poussent au delà du but où nous devrions nous arrêter, et nous mènent bien plus loin que nous ne devrions aller ? J’en suis un exemple frappant. Dois-je te faire cet aveu ? Oui, ne cachons rien à l’amie de mon cœur ; je rougis moins de te le dire que d’en avoir eu la folie. Une circonstance va te la développer tout entière, et te fera voir en même temps la bonté, la douceur, le vif intérêt de mon père pour moi, la justesse de son esprit, la force de son âme, de son attachement et de sa complaisance ; elle me fit connaître plus que jamais à quel point il méritait tout mon cœur et mon amour : aussi son image le remplira-t-elle toujours, et ne s’en effacera qu’avec ma vie.

Dans la même maison que nous occupions, végétait une bonne dévote, veuve et âgée, qui ne croyait son temps bien employé qu’en passant la plus grande partie du jour à courir les églises. Elle avait trois enfants : l’aîné, débauché dans toute l’étendue de l’expression, ne fréquentait que la plus mauvaise compagnie : à peine le connaissions-nous de vue. Jouissant du bien qui lui revenait de son père, il le dissipait avec profusion. Son frère, de beaucoup plus jeune, avait quelques mois au-dessus de seize ans lorsqu’il quitta le collège pour revenir chez sa mère. C’était un garçon beau comme on peint l’Amour, d’une