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LE RIDEAU LEVÉ


désir, tu pourrais l’avoir éprouvé pour quelque autre qui vaudrait encore moins ; ainsi j’ai pris mon parti.

Depuis ce jour je me trouvais bien moins affectée pour Vernol, et si je me suis prêtée, ma chère, à tout ce que tu vas voir, ce fut par une réunion de condescendance pour ce cher papa, de curiosité et de tempérament excité, premier principe de mon désir fantastique, que je me laissai aller. Je passai la nuit entre ses bras ; le matin, au milieu des baisers que je lui donnais à mon réveil, il me dit :

— Laurette, il faut que tu voies aujourd’hui la mère de Rose ; engage-la à laisser venir sa fille passer la journée à la campagne avec toi ; en même temps préviens-la qu’elle ne soit point inquiète si elle ne revenait pas le soir, que tu pourrais, peut-être, ne la ramener que demain. Nous prétexterons que la voiture nous a manqué, et tu la garderas ici jusqu’à demain. Quand tu seras avec elle en liberté, tu pourras juger de sa façon de penser et de tout ce qu’elle sait ; elle paraît avoir de la confiance et de l’amitié pour toi ; aussitôt que tu sauras à quoi t’en tenir, tu m’en instruiras…

Je crus de ce moment qu’il avait formé des desseins sur elle ; il ne m’en fallut pas davantage pour m’empresser, sans autre réflexion, à entrer dans ses idées et à me prêter à tout ce qu’il aurait projeté. Je soupçonnais déjà