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LE RIDEAU LEVÉ


mente ; tu en jouiras, tu connaîtra ainsi toute ma tendresse pour toi, tu sentiras que tu ne peux cesser de m’aimer, et c’est tout ce que je désire ; va, je ne suis pas jaloux de ton cœur, dont la possession m’est si chère.

Ce trait me confondit ; une lumière vint dissiper le trouble de cette imagination fascinée, je tombai à ses genoux, toute en larmes, et mon sein palpitait ; je baisais ses mains, que j’arrosais de mes pleurs : mes sanglots me laissaient à peine la liberté de m’exprimer.

— Tendre papa, je t’aime, je t’adore, je ne chéris que toi ; mon âme, mon cœur, tout est plein de toi !

Il fut touché de ma douleur ; il me releva et me pressant à son tour, en me couvrant de baisers.

— Console-toi, trop aimable et chère enfant ; crois-tu que je ne connaisse pas la nature et ses lois invincibles. Va, je ne suis point injuste. C’est par expérience, par comparaison et par la complaisance la plus étendue de ma part, que produit seule l’affection, l’amitié la plus tendre, que je désire être aimé de toi ; il est temps que tu apprennes à juger des différences. Je t’ai promis que tu jouirais de Vernol : ferme dans mes principes, constant dans mes idées, je tiendrai ma parole ; d’ailleurs, il est aimable, bien fait, beau garçon, je lui dois cette justice, et si ce n’était pas pour lui que tu eusses senti ce