Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/211

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tout écrasé. J’eus la terreur de ces étoiles si muettes, dont le clignotement recule encore, sans l’éclairer jamais, l’affolant mystère de l’incommensurable. Qu’étais-je, moi, si petit, parmi ces mondes ? De qui donc étais-je né ? Et pourquoi ? Où donc allais-je, vile fibre, imperceptible atome perdu dans ce calme tourbillon des impénétrables harmonies ? Et qu’étaient mon père, ma mère, mes sœurs, nos voisins, nos amis, les passants, toute cette poussière vivante, toute cette minuscule troupe d’insectes emportée par on ne sait quoi, vers on ne sait où ? Je n’avais pas lu Pascal — je n’avais rien lu encore — et, quand, plus tard, cette phrase que je cite de mémoire, me tomba sous les yeux : « Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes ces choses », je tressaillis de joie et de douleur, de voir exprimés si nettement, si complètement, les sentiments qui m’avaient agité cette nuit-là.

Toute cette nuit-là, je restai appuyé contre la fenêtre ouverte, sans un mouvement, le regard perdu dans l’épouvante du ciel mauve, et la gorge si serrée que les sanglots dont était pleine ma poitrine ne pouvaient s’en échapper et me suffoquaient. Mais le matin, enfin, reparut. L’aube se leva et, avec elle, la vie, qui