Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/273

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testait avec des gestes charmants, s’écria d’une voix forte :

— Alors, c’est vrai ?… Vous en êtes donc ?

Ces paroles firent l’effet d’une douche glacée. La comtesse Fergus agita vivement son éventail… Chacun se regarda avec des airs gênés, scandalisés où perçaient, néanmoins, d’irrésistibles envies de rire. Les deux poings sur la table, les lèvres serrées, plus pâle avec une sueur au front, Charrigaud roulait avec fureur des boulettes de mie de pain et des yeux comiquement hagards… Je ne sais ce qui fût arrivé, si Kimberly, profitant de ce moment difficile et de ce dangereux silence, n’avait raconté son dernier voyage à Londres…

— Oui, dit-il, j’ai passé à Londres huit jours enivrants, et j’ai assisté, mesdames, à une chose unique… un dîner rituel que le grand poète John-Giotto Farfadetti offrait à quelques amis, pour célébrer ses fiançailles avec la femme de son cher Frédéric-Ossian Pinggleton.

— Que ce dut être exquis !… minauda la comtesse Fergus.

— Vous n’imaginez pas… répondit Kimberly, dont le regard, les gestes, et même l’orchidée qui fleurissait la boutonnière de son habit, exprimèrent la plus ardente extase.

Et il continua :

— Figurez-vous, ma chère amie, dans une grande salle que décorent sur les murs bleus, à peine bleus, des paons blancs et des paons d’or…