Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/280

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comme elle fut Mienne… Je me déchirerai la chair par lambeaux, je m’arracherai le cœur de la poitrine… je briserai contre les murs mon crâne… Mais mon ami sera heureux… Je puis souffrir… La souffrance est une volupté aussi ! » — « Et la plus puissante, la plus amère, la plus farouche de toutes les voluptés ! s’extasia John-Giotto Farfadetti… J’envie ton sort, va !… Quant à moi, je crois bien que je mourrai ou de la joie de mon amour, ou de la douleur de mon ami… L’heure est venue… Adieu ! »… Il se dressa, tel un archange… À ce moment, la draperie s’agita, s’ouvrit et se referma sur une illuminante apparition… C’était Botticellina, drapée dans une robe flottante, couleur de lune… Ses cheveux épars brillaient tout autour d’elle comme des gerbes de feu… Elle tenait à la main une clé d’or… Et l’extase était sur ses lèvres, et le ciel de la nuit dans ses yeux… John-Giotto se précipita et disparut derrière la draperie… Alors, Frédéric-Ossian Pinggleton se recoucha sur la triple rangée de coussins, couleur de fucus, au fond de la mer… Et, tandis qu’il s’enfonçait les ongles dans la chair, que le sang ruisselait de lui comme d’une fontaine, les algues d’or frémirent doucement, à peine visibles, sur le mur qui, peu à peu, s’enduisait de ténèbres… Et la palette en forme de harpe, et le chevalet en forme de lyre résonnèrent longtemps, en chants nuptiaux…

Kimberly se tut quelques instants… puis,