Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/398

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nous étions en maison et que nous attendions le miché. Cela me parut drôle, ou triste, je ne sais pas bien, et j’en fis, un jour, la remarque tout haut… Ce fut un éclat de rire général. Chacune, immédiatement, conta ce qu’elle savait de précis et de merveilleux sur ces sortes d’établissements… Une grosse bouffie, qui épluchait une orange, exprima :

— Bien sûr que cela vaudrait mieux… On boulotte tout le temps, là dedans… Et du champagne, vous savez, Mesdemoiselles… et des chemises avec des étoiles d’argent… et pas de corset !

Une grande sèche, très noire de cheveux, les lèvres velues, et qui semblait très sale, dit :

— Et puis… ça doit être moins fatigant… Parce que, moi, dans la même journée, quand j’ai couché avec Monsieur, avec le fils de Monsieur… avec le concierge… avec le valet de chambre du premier… avec le garçon boucher… avec le garçon épicier… avec le facteur du chemin de fer… avec le gaz… avec l’électricité… et puis avec d’autres encore… eh bien, vous savez… j’en ai mon lot !…

— Oh ! la sale ! s’écria-t-on, de toutes parts.

— Avec ça !… Et vous autres, mes petits anges… Ah ! malheur !… répliqua la grande noire, en haussant ses épaules pointues.

Et elle s’administra, sur la cuisse, une claque…

Je me rappelle que, ce jour-là, je pensai à ma sœur Louise enfermée sans doute dans une de