Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/117

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je ne suis qu’un insulteur public ; que, si je maltraite quelqu’un, ce quelqu’un est toujours, de ce fait, un homme d’étonnant génie, et qu’il n’est qu’un va-nu-pieds notoire et scandaleux celui que j’admire et que j’aime.

Que M. Georges Duval se rassure. Je ne le maltraiterai pas, et je lui dirai ceci :

— Il y a au fond de votre âme, et de l’âme de tous vos pareils — car ce n’est pas à vous seul que je m’adresse ici, et vous n’êtes pas, ici, M. Georges Duval, vous êtes M. Georges Légion — une incurable douleur : l’impuissance de sentir par vous-même, d’admirer spontanément, d’aimer et de haïr, ce qui est tout un, avec votre propre amour. Et ne croyez pas que je veuille limiter cette constatation à un simple accident de littérature, au fond indifférent, mais je la généralise et je l’étends à tout ce que peut vous offrir la vie, dans le domaine de l’action. Sentir, aimer, admirer, vous ne le pouvez qu’avec l’autorisation de votre maître d’études, et votre admiration et votre amour ne seront jamais qu’une leçon répétée ou un pensum, au lieu qu’ils soient l’exaltation libre, ardente, pleine de joie, de l’individu en contact avec la beauté. Parmi les choses qu’on vous a imposées, qu’on vous a forcé d’admirer, il en est beaucoup qui sont mortes déjà, ou en train de mourir, ou qui mourront demain, ou qui même n’existèrent que dans l’âme servile des pauvres sots. Et vous les admirerez toujours, et jamais vous