Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/123

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marins bretons. On l’admirait parce qu’il était peut-être plus brave que les autres, qu’il se trouvait, toujours là, le premier pour sauver un camarade en détresse, mais on ne l’aimait pas. Les pêcheurs ne pouvaient lui pardonner ses pêches heureuses, qu’il étalait, au retour, sur les cales, avec une sorte de complaisance provocante ; ils ne pouvaient lui pardonner aussi son bien-être, ses belles vareuses et son linge bien blanc des dimanches, et ce respect et cette supériorité qui s’imposaient à eux, malgré eux. Et puis on le disait dur au pauvre monde et très avare. En effet, on ne l’avait jamais vu se fourvoyer dans ces camaraderies des débits de boisson, commencées par les tournées des petits verres et finissant par les rixes sanglantes : cette folie furieuse et inguérissable de l’alcool qui, parfois, fait ressembler les marins à des brutes déchaînées.

Son équipage surtout le détestait, à cause du travail dont il le tuait, de la discipline sévère qu’il exigeait à bord, de son exces-