Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/243

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Père me parle de vous ?… Je ne suis rien, moi. Un lion, monsieur Sébastien Roch, ne parle pas à un ver de terre.

Cela lui causait une véritable affliction, à laquelle se mêlait du dépit, le dépit de n’être rien dans la vie de cet homme, pas même un remords.

Livré à soi-même, la plupart du temps, assis ou couché sur son lit, le corps inactif, il se défendait mal aussi contre les tentations qui revenaient plus nombreuses, plus précises chaque jour, contre la folie déchaînée des images impures qui l’assaillaient, enflammant son cerveau, fouettant sa chair, le poussant à de honteuses rechutes, immédiatement suivies de dégoûts, de prostrations où son âme sombrait comme dans la mort. Il dormait ensuite d’un sommeil agité, douloureux, coupé de cauchemars, de suffocations ; et ses réveils étaient affreux, comme s’il sortait de la lourde, de l’épouvantable nuit d’un suicide.

Le quatrième jour, au matin, il dit au frère qui le ramenait de la messe :

— Savez-vous si mon père est arrivé ?

— Et que voulez-vous que je le sache, monsieur Sébastien Roch ?

C’est vrai. La réponse était prévue. Cependant, il s’irrita. Il en avait assez de cette incertitude, de cette solitude, de cette terreur de toutes les minutes, d’entendre la porte s’ouvrir et de voir soudain apparaître son père, furieux, menaçant. Il voulait sentir quelqu’un, là, près de lui, parler à quelqu’un. Il pensa au Père de Marel, le moins sévère, le plus souriant de tous les Pères, et d’un ton bref, il commanda :