Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/111

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que je ne me batte aussi ; mais enfin j’en réponds comme de moi-même, et vous n’avez qu’à dire quand vous voulez qu’il paraisse, et vous donne satisfaction.

Don Carlos

Que ma destinée est cruelle ! Faut-il que je vous doive la vie et que don Juan soit de vos amis ?



Scène V

DON ALONSE, DON CARLOS, DON JUAN, SGANARELLE.
Don Alonse, parlant à ceux de sa suite, sans voir don Carlos ni don Juan.

Faites boire là mes chevaux, et qu’on les amène après nous ; je veux un peu marcher à pied. (Les apercevant tous deux.) Ô ciel ! que vois-je ici ! Quoi ! mon frère, vous voilà avec notre ennemi mortel ?

Don Carlos

Notre ennemi mortel ?

Don Juan, mettant la main sur la garde de son épée.

Oui, je suis don Juan moi-même, et l’avantage du nombre ne m’obligera pas à vouloir déguiser mon nom.

Don Alonse, mettant l’épée à la main.

Ah ! traître, il faut que tu périsses ; et…

(Sganarelle court se cacher.)
Don Carlos

Ah ! mon frère, arrêtez. Je lui suis redevable de la vie ; et, sans le secours de son bras, j’aurais été tué par des voleurs que j’ai trouvés.

Don Alonse

Et voulez-vous que cette considération empêche notre vengeance ? Tous les services que nous rend une main ennemie ne sont d’aucun mérite pour engager notre âme ; et, s’il faut mesurer l’obligation à l’injure, votre reconnaissance, mon frère, est ici ridicule ; et comme l’honneur est infiniment plus précieux que la vie, c’est ne devoir rien proprement, que d’être redevable de la vie à qui nous a ôté l’honneur.

Don Carlos

Je sais la différence, mon frère, qu’un gentilhomme doit toujours mettre entre l’un et l’autre ; et la reconnaissance de l’obligation n’efface point en moi le ressentiment de l’in-