Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/131

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Ne m’abusez-vous point d’un faux espoir, et puis-je prendre quelque assurance sur la nouveauté surprenante d’une telle conversion ?

Don Juan

Oui, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs ; je ne suis plus le même d’hier au soir, et le ciel tout d’un coup a fait en moi un changement qui va surprendre tout le monde. Il a touché mon âme et dessillé mes yeux ; et je regarde avec horreur le long aveuglement où j’ai été, et les désordres criminels de la vie que j’ai menée. J’en repasse dans mon esprit toutes les abominations, et m’étonne comme le ciel les a pu souffrir si longtemps, et n’a pas vingt fois sur ma tête laissé tomber les coups de sa justice redoutable. Je vois les grâces que sa bonté m’a faites en ne me punissant point de mes crimes, et je prétends en profiter comme je dois, faire éclater aux yeux du monde un soudain changement de vie, réparer par-là le scandale de mes actions passées, et m’efforcer d’en obtenir du ciel une pleine rémission. C’est à quoi je vais travailler ; et je vous prie, monsieur, de vouloir bien contribuer à ce dessein, et de m’aider vous-même à faire choix d’une personne qui me serve de guide, et sous la conduite de qui je puisse marcher sûrement dans le chemin où je m’en vais entrer[1].

Don Louis

Ah ! mon fils, que la tendresse d’un père est aisément rappelée, et que les offenses d’un fils s’évanouissent vite au moindre mot de repentir ! Je ne me souviens plus déjà de tous les déplaisirs que vous m’avez donnés, et tout est effacé par les paroles que vous venez de me faire entendre. Je ne me sens pas, je l’avoue ; je jette des larmes de joie ; tous mes vœux sont satisfaits, et je n’ai plus rien désormais à demander au ciel. Embrassez-moi, mon fils, et persistez, je vous conjure, dans cette louable pensée. Pour moi, j’en vais tout de ce pas porter l’heureuse nouvelle à votre mère, partager avec elle les doux transports du ravissement où je suis, et rendre grâces au ciel des saintes résolutions qu’il a daigné vous inspirer.

  1. Après avoir épuisé tous les genres de perversité, don Juan essaye d’une perversité nouvelle, l’hypocrisie. Comme ce vice couvre tous les antres, et qu’il est la dernière ressource des misérables, Molière, par une admirable entente de son sujet, en a réservé la mise en scène pour son dernier acte. Don Juan, avec plus