Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/135

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orages ; les orages tourmentent les vaisseaux ; les vaisseaux ont besoin d’un bon pilote ; un bon pilote a de la prudence ; la prudence n’est pas dans les jeunes gens ; les jeunes gens doivent obéissance aux vieux ; les vieux aiment les richesses ; les richesses font les riches ; les riches ne sont pas pauvres ; les pauvres ont de la nécessité ; nécessité n’a point de loi ; qui n’a point de loi vit en bête brute ; et, par conséquent, vous serez damné à tous les diables.

Don Juan

Ô le beau raisonnement !

Sganarelle

Après cela, si vous ne vous rendez, tant pis pour vous.



Scène III

DON CARLOS, DON JUAN, SGANARELLE.
Don Carlos

Don Juan, je vous trouve à propos, et suis bien aise de vous parler ici plutôt que chez vous, pour vous demander vos résolutions. Vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis, en votre présence, chargé de cette affaire. Pour moi, je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur ; et il n’y a rien que je ne fasse pour porter votre esprit à vouloir prendre cette voie, et pour vous voir publiquement confirmer à ma sœur le nom de votre femme.

Don Juan, d’un ton hypocrite.

Hélas ! je voudrais bien, de tout mon cœur, vous donner la satisfaction que vous souhaitez ; mais le ciel s’y oppose directement ; il a inspiré à mon âme le dessein de changer de vie, et je n’ai point d’autres pensées maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plus tôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désormais par une austère conduite, tous les dérèglements criminels où m’a porté le feu d’une aveugle jeunesse.

Don Carlos

Ce dessein, don Juan, ne choque point ce que je dis ; et la compagnie d’une femme légitime peut bien s’accommoder avec les louables pensées que le ciel vous inspire.

Don Juan

Hélas ! point du tout. C’est un dessein que votre sœur elle-