Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/387

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Madame Pernelle
Voyez la langue !


Dorine
Voyez la langue !À lui, non plus qu’à son Laurent,

Je ne me fierais, moi, que sur un bon garant.

Madame Pernelle
J’ignore ce qu’au fond le serviteur peut être ;

Mais pour homme de bien je garantis le maître.
75Vous ne lui voulez mal et ne le rebutez
Qu’à cause qu’il vous dit à tous vos vérités.
C’est contre le péché que son cœur se courrouce
Et l’intérêt du ciel est tout ce qui le pousse.

Dorine
Oui ; mais pourquoi, surtout depuis un certain temps,

80Ne saurait-il souffrir qu’aucun hante céans ?
En quoi blesse le ciel une visite honnête,
Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête ?
Veut-on que là-dessus je m’explique entre nous ?…
(Montrant Elmire.)
Je crois que de madame il est, ma foi, jaloux[1].

Madame Pernelle
85Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites.

Ce n’est pas lui tout seul qui blâme ces visites :
Tout ce tracas qui suit les gens que vous hantez,
Ces carrosses sans cesse à la porte plantés,
Et de tant de laquais le bruyant assemblage,
90Font un éclat fâcheux dans tout le voisinage.
Je veux croire qu’au fond il ne se passe rien ;
Mais enfin on en parle, et cela n’est pas bien.

Cléante
Hé ! voulez-vous, madame, empêcher qu’on ne cause ?

Ce serait dans la vie une fâcheuse chose,
95Si, pour les sots discours où l’on peut être mis,
Il fallait renoncer à ses meilleurs amis.
Et quand même on pourrait se résoudre à le faire,
Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ?
Contre la médisance il n’est point de rempart.
100À tous les sots caquets n’ayons donc nul égard ;

  1. L’auteur de la Lettre sur l’Imposteur a remarqué le premier que ce trait était là pour faire pressentir la conduite, ou plutôt pour rendre croyable l’amour porté de Tartuffe.
    (Aimé Martin)