Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/343

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se fût à peine aperçu du changement qui s’était fait dans le cœur de la Molière en sa faveur qu’il y répondit aussitôt. Il fut le premier qui rompit le silence par le compliment qu’il lui fit sur le bonheur qu’il avait d’avoir été choisi pour représenter son amant ; qu’il devait l’approbation du public à cet heureux hasard ; qu’il n’était pas difficile de jouer un personnage que l’entendait naturellement qu’il serait toujours le meilleur acteur du monde si l’on disposait les choses de la même manière. La Molière répondit que les louanges que l’on donnait à un homme comme lui étaient dues à son mérite, et qu’elle n’y avait nulle part ; que cependant la galanterie d’une personne qu’on disait avoir tant de maîtresses ne la surprenait pas, et qu’il devait être aussi bon comédien auprès des dames qu’il l’était sur le théâtre.

» Baron, à qui cette manière de reproches ne déplaisait pas, lui dit de son air indolent qu’il avait à la vérité quelques habitudes que l’on pouvait nommer bonnes fortunes, mais qu’il était prêt à lui tout sacrifier, et qu’il estimerait davantage la plus simple de ses faveurs que le dernier emportement de toutes les femmes avec qui il était bien, et dont il lui nomma aussitôt les noms par une discrétion qui lui est naturelle. La Molière fut enchantée de cette préférence. » Nous n’avons pas besoin d’ajouter que Baron fut heureux.

M. Saint-Marc Girardin, dans son Cours de littérature dramatique, a analysé avec la finesse qui le distingue l’un des sentiments que Molière et Corneille ont le plus heureusement mis en relief dans Psyché ; ce sentiment c’est l’inimitié entre sœurs. « Ces inimitiés, dit M. Saint-Marc, vont quelquefois jusqu’à la haine ; elles s’arrêtent ordinairement à la jalousie. Les rivalités d’amour et de beauté, la vanité, la coquetterie, sont les causes les plus fréquentes de ces inimitiés, qui, selon les effets qu’elles produisent, appartiennent à la tragédie ou à la comédie.

» Il y a dans l’envie je ne sais combien de degrés, et le dépit involontaire que donne à une femme le succès d’une autre femme, fût-ce sa sœur, ne ressemble pas, il s’en faut, à l’envie farouche et meurtrière de Caïn contre son frère. Cependant il y touche, quoique de loin. Nous rions, dans Clarisse, des dépits jaloux d’Arabelle Harlowe, et nous applaudissons volontiers à la gaieté de Clarisse dans ses premières lettres, quand elle raconte les colères de sa sœur. Nous voyons cependant, à travers cette gaieté, comment l’envie de la sœur aînée deviendra la cause des malheurs de la cadette. Le drame dont Clarisse doit être l’héroïne et la victime naît de ces zizanies entre les deux sœurs, et bientôt même Clarisse, toute bienveillante et toute charitable qu’elle est, sera forcée de croire qu’il y a contre elle une sorte de conspiration, « que son frère et sa sœur veulent l’abattre ; » et elle fera cette triste et iuste réflexion « qu’on a