Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/342

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« Ledit jour, dit Lagrange, mercredi quinzième avril(1671), après une délibération de la compagnie de représenter Psyché, qui avait été faite pour le roi l’hiver dernier et représentée sur le grand théâtre du palais des Tuileries, on commença à faire travailler tant aux machines, décorations, musique, ballets et généralement tous les ornements nécessaires pour ce grand spectacle. Jusques ici les musiciens et musiciennes n’avaient point voulu paraître en public ; ils chantaient à la comédie dans des loges grillées et treillissées ; mais on surmonta cet obstacle, et, avec quelque légère dépense, on trouva des personnes qui chantèrent sur le théâtre à visage découvert, habillées comme les comédiens… Tous lesdits frais et dépenses pour la préparation de Psyché se sont montés à la somme de 4,359 livres 15 sols. Dans le cours de la pièce, M. de Beauchamp a reçu de récompense, pour avoir fait les ballets et conduit la musique, 1,100 livres, non compris les 11 livres par jour que la troupe lui a données tant pour battre la mesure à la musique que pour entretenir les ballets. »

Après six semaines d’études, Psyché fut représentée le 24 juillet 1671, sur le théâtre de Molière. La splendeur et la nouveauté du spectacle attirèrent la foule ; et trente-huit recettes productives dédommagèrent pleinement la troupe de ses avances.

Comme directeur et comme auteur, Molière obtint donc un succès complet ; mais comme mari, il eut à supporter, à l’occasion de la nouvelle pièce, un nouveau malheur. Le jeune Baron, qu’il aimait comme son fils, était chargé du rôle de l’Amour, et mademoiselle Molière de celui de Psyché. Ces rôles furent pris au sérieux de part et d’autre ; écoutons, à ce sujet, l’auteur de la Fameuse comédienne ; on verra par son récit combien Molière dut souffrir en portant au milieu du monde qui l’entourait la susceptibilité d’un grand cœur :

« Tant que mademoiselle Molière avait demeuré avec son mari, dit l’auteur de la Fameuse comédienne, elle avait haï Baron comme un petit étourdi qui les mettait fort souvent mal ensemble par ses rapports ; et, comme la haine aveugle aussi bien que les autres passions, la sienne l’avait empêchée de le trouver joli. Mais quand ils n’eurent plus d’intérêts à démêler, et qu’elle lui eut entièrement abandonné la place, elle commença à le regarder sans prévention, et trouva qu’elle en pouvait faire un amusement agréable. La pièce de Psyché, que l’on jouait alors, seconda heureusement ses desseins et donna naissance à leur amour. La Molière représentait Psyché à charmer, et Baron, dont le personnage était l’Amour, y enlevait les cœurs de tous les spectateurs : les louanges communes qu’on leur donnait les obligèrent de s’examiner de leur côté avec plus d’attention, et même avec quelque sorte de plaisir. Baron n’est pas cruel ; il