Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/36

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vous ne pouvez pas que vous n’ayez raison[1]. Mais aussi n’a-t-elle pas tort tout à fait, et…

Harpagon

Comment ? Le seigneur Anselme est un parti considérable ; c’est un gentilhomme qui est noble[2], doux, posé, sage et fort accommodé, et auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Sauroit-elle mieux rencontrer ?

Valère

Cela est vrai. Mais elle pourroit vous dire que c’est un peu précipiter les choses, et qu’il faudrait au moins quelque temps pour voir si son inclination pourra s’accommoder avec.

Harpagon

C’est une occasion qu’il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu’ailleurs je ne trouverois pas ; et il s’engage à la prendre sans dot.

Valère

Sans dot ?

Harpagon

Oui.

Valère

Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous ? voilà une raison tout à fait convaincante ; il se faut rendre à cela.

Harpagon

C’est pour moi une épargne considérable.

Valère

Assurément ; cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande affaire qu’on ne peut croire ; qu’il y va d’être heureux ou malheureux toute sa vie ; et qu’un engagement qui doit durer jusqu’à la mort ne se doit jamais faire qu’avec de grandes précautions.

Harpagon

Sans dot !

  1. Vous ne pouvez pas que, latinisme non possum quid. Boileau a dit aussi, dans la Satire sur les femmes :
    Je ne puis cette fois que je ne les excuse !
  2. Ce gentilhomme qui est noble est certainement un trait de satire contre les faux nobles, dont le nombre étoit fort considérable. Molière y revient plus loin, acte V, scène v : « Le monde aujourd’hui n’est plein que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent avantage de leur obscurité, et s’habillent insolemment du premier nom illustre qu’ils s’avisent de prendre. (Auger.)