Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/401

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La plus juste douleur, qui d'un beau désespoir
Nous eût pu fournir la matière,
1715 Cette pompe funèbre, où du sort le plus noir
Vous attendiez la rigueur la plus fière,
L'injustice la plus entière.

AGÉNOR
Sur ce même rocher, où le Ciel en courroux
Vous promettait au lieu d'époux
1720 Un serpent dont soudain vous seriez dévorée,
Nous tenions la main préparée
À repousser sa rage, ou mourir avec vous.
Vous le savez, Princesse, et lorsqu'à notre vue
Par le milieu des airs vous êtes disparue,
1725 Du haut de ce rocher pour suivre vos beautés,
Ou plutôt pour goûter cette amoureuse joie
D'offrir pour vous au monstre une première proie,
D'amour et de douleur l'un et l'autre emportés,
Nous nous sommes précipités.

CLÉOMÈNE
1730 Heureusement déçus au sens de votre oracle,
Nous en avons ici reconnu le miracle,
Et su que le serpent prêt à vous dévorer
Était le Dieu qui fait qu'on aime,
Et qui tout Dieu qu'il est, vous adorant lui-même,
1735 Ne pouvait endurer
Qu'un mortel comme nous osât vous adorer.

AGÉNOR
Pour prix de vous avoir suivie,
Nous jouissons ici d'un trépas assez doux:
Qu'avions-nous affaire de vie,
1740 Si nous ne pouvions être à vous?
Nous revoyons ici vos charmes
Qu'aucun des deux là-haut n'aurait revus jamais,
Heureux si nous voyons la moindre de vos larmes
Honorer des malheurs que vous nous avez faits.

PSYCHÉ
1745 Puis-je avoir des larmes de reste
Après qu'on a porté les miens au dernier point?
Unissons nos soupirs dans un sort si funeste,
Les soupirs ne s'épuisent point.