Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/578

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
568
LES FEMMES SAVANTES.

ACTE CINQUIÈME.


Scène I.

Henriette, Trissotin.

Henriette.
C’est sur le mariage où ma mère s’apprête
Que j’ai voulu, monsieur, vous parler tête à tête ;
Et j’ai cru, dans le trouble où je vois la maison,
Que je pourrois vous faire écouter la raison.
Je sais qu’avec mes vœux vous me jugez capable
De vous porter en dot un bien considérable ;
Mais l’argent, dont on voit tant de gens faire cas,
Pour un vrai philosophe a d’indignes appas ;
Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles
Ne doit point éclater dans vos seules paroles.

Trissotin.
Aussi n’est-ce point là ce qui me charme en vous ;
Et vos brillants attraits, vos yeux perçants et doux,
Votre grace et votre air sont les biens, les richesses,
Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses :
C’est de ces seuls trésors que[1] je suis amoureux.

Henriette.
Je suis fort redevable à vos feux généreux.
Cet obligeant amour a de quoi me confondre,
Et j’ai regret, monsieur, de n’y pouvoir répondre.
Je vous estime autant qu’on sauroit estimer,
Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer.
Un cœur, vous le savez, à deux ne sauroit être ;
Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître.
Je sais qu’il a bien moins de mérite que vous,
Que j’ai de méchants yeux pour le choix d’un époux ;
Que par cent beaux talents vous devriez me plaire :
Je vois bien que j’ai tort, mais je n’y puis que faire ;
Et tout ce que sur moi peut le raisonnement,
C’est de me vouloir mal d’un tel aveuglement.

Trissotin.
Le don de votre main où l’on me fait prétendre,

  1. Var C’est de ces seuls trésors dont je suis amoureux