Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/590

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
580
LES FEMMES SAVANTES.

Je m’attache, madame, à tout votre destin ;
Et j’ose vous offrir, avecque ma personne,
Ce qu’on sait que de bien la fortune me donne.

Philaminte.
Vous me charmez, monsieur, par ce trait généreux,
Et je veux couronner vos desirs amoureux.
Oui, j’accorde Henriette à l’ardeur empressée…

Henriette.
Non, ma mère : je change à présent de pensée.
Souffrez que je résiste à votre volonté.

Clitandre.
Quoi ! vous vous opposez à ma félicité ?
Et, lorsqu’à mon amour je vois chacun se rendre…

Henriette.
Je sais le peu de bien que vous avez, Clitandre ;
Et je vous ai toujours souhaité pour époux,
Lorsqu’en satisfaisant à mes vœux les plus doux,
J’ai vu que mon hymen ajustoit vos affaires ;
Mais lorsque nous avons les destins si contraires,
Je vous chéris assez dans cette extrémité,
Pour ne vous charger point de notre adversité.

Clitandre.
Tout destin, avec vous, me peut être agréable ;
Tout destin me seroit, sans vous, insupportable.

Henriette.
L’amour, dans son transport, parle toujours ainsi.
Des retours importuns évitons le souci.
Rien n’use tant l’ardeur de ce nœud qui nous lie,
Que les fâcheux besoins des choses de la vie ;
Et l’on en vient souvent à s’accuser tous deux
De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux !

Ariste, à Henriette.
N’est-ce que le motif que nous venons d’entendre,
Qui vous fait résister à l’hymen de Clitandre ?

Henriette.
Sans cela vous verriez tout mon cœur y courir ;
Et je ne fuis sa main que pour le trop chérir.

Ariste.
Laissez-vous donc lier par des chaînes si belles.
Je ne vous ai porté que de fausses nouvelles ;
Et c’est un stratagème, un surprenant secours,