Page:Monod - Portraits et Souvenirs, 1897.djvu/31

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Commencée en 1802, achevée en 1888, l’existence de Victor Hugo remplit presque tout un siècle. Il entrait dans l’adolescence au moment où, délivrée du joug impérial, la France renaissait à la vie littéraire et à la vie politique ; il meurt au moment où le pays, fatigué, privé de presque tous ses grands hommes, semble traîner tristement une stérile vieillesse. Il a eu cet unique privilège, après avoir étonné par sa précocité d’enfant sublime les académiciens de 1817, d’étonner encore et d’humilier, à quatre-vingts ans passés, les jeunes générations par une vigueur physique et intellectuelle qui tenait du prodige. Comme il était sans conteste le plus illustre poète vivant, non seulement de la France, mais de l’Europe, il avait fini par être entouré d’une admiration unanime et indiscutée ; il avait passé à l’état de monument national. On s’entendait tacitement pour suspendre à son égard tout jugement sévère, toute critique irrespectueuse ; on trouvait juste et beau que l’homme qui avait à ce point honoré sa patrie jouît pleinement, dans ses dernières années, de sa gloire pacifique. Cette conspiration d’admiration et de respects, à laquelle venait se joindre le culte idolâtre de quelques fidèles, a fini par faire du poète, pour toutes les classes de lecteurs et même pour ceux qui ne l’avaient jamais lu, un être à part, une sorte de demi-dieu. On peut dire de lui qu’il a été canonisé de son vivant.

Il prêtait à cette canonisation par les phases mêmes